René Laffitte est né le 15 novembre 1947. Il est mort le 30 juillet 2009 au matin, des suites d’un cancer.
C’est au début de sa carrière d’enseignant, à l’École normale d’instituteurs de Montpellier, dans les années 1960, qu’aux côtés de sa première épouse, Geneviève Laffitte, il rencontra le militantisme pédagogique, avec les CEMÉA1, « la deuxième aube de [s]a vie, première ouverture sur une conception de la vie de l’autre, des enfants, le seul ‘parti politique’ qui [l]’ait vraiment transformé et auquel [il ait] adhéré. » Cette voie le conduira d’emblée vers l’enfance inadaptée, auprès de laquelle toute sa vie il exerça « ce difficile métier d’instituteur », vers l’ICEM2 et la pédagogie Freinet, sa première famille pédagogique, et à Saint-Alban, première rencontre avec la sphère de la psychothérapie institutionnelle. Bien plus tard, François Tosquelles offrira une préface au premier ouvrage de René Laffitte, et Jean Oury lui fera l’amitié de préfacer le second.
À l’ICEM, il fut entre autres membre du Comité directeur. Il fut de la commission « Connaissance de l’enfant », et, ce qui compta le plus à ses yeux, le lanceur du projet BTR, « Bibliothèque de travail — Recherche ». À cette époque il fera, parmi de nombreuses rencontres, celle des futurs membres fondateurs de Genèse de la Coopérative (Maurice Marteau, Jean-Claude Colson, Jean-Louis Maudrin), et de son plus vieil et plus fidèle ami, Jacques Caux.
Son cheminement personnel et pédagogique va le mener à la rencontre décisive, dans son métier comme dans sa vie, avec Fernand Oury. La pertinence théorique, pratique et éthique des écrits de ce dernier engageront définitivement René Laffitte dans la voie de la pédagogie institutionnelle. Fernand Oury et Catherine Pochet rejoindront, à la fin des années 1970, le groupe Genèse de la Coopérative, qui s’imposera tout au long des années 1980 comme le groupe majeur de pédagogie institutionnelle. On doit à ce groupe (que rejoindront, parmi d’autres, Françoise Thébaudin et Patrice Buxeda) des stages de formation qui ont fait école (et existent encore, sous diverses formes), et plusieurs livres. Genèse de la Coopérative se dissoudra dans les années 1990, pour donner naissance à deux groupes, « Pratique de la Coopérative » et « Association VPI », groupe dans lequel se retrouvèrent, parmi d’autres déjà cités, Marguerite Bialas, Isabelle Robin, Brigitte Vicario, Fernand Oury, René Laffitte et sa seconde épouse, Mireille Laffitte, sa compagne pédagogique avec laquelle il a écrit et travaillé depuis vingt-cinq ans.
Depuis toujours, mais surtout à partir des années 1990, René Laffitte a travaillé avec nombre d’autres « artisans pédagogiques » (titre qu’il avait donné en son temps à la revue du groupe ICEM 34), surtout dans les différents « chamPIgnons », petits groupes de travail locaux ou régionaux. Le chamPIgnon de Béziers, puis l’association du « Champ P.I. », bénéficia de sa présence, de son écoute et de sa pratique. Dans ce chamPignon, le travail, c’était avant tout apprendre à raconter sa classe, à la regarder autrement. Travailler avec René Laffitte, c’était vivre le risque de la parole, apprendre à laisser venir, s’autoriser sans craindre d’être jugé, au risque de l’inattendu. Le « Quoi de neuf ? » du chamPignon, lieu de parole et d’échanges sur nos pratiques, est peu à peu devenu, au fil des ans, un « Quoi de neuf-Élaboration », entraînement permanent rendant audible la complexité d’une parole dans des moments fugitifs de connivence ou de stupeur, rencontre de l’Autre en chacun d’entre nous. Dans une écoute et une sécurité suffisantes, prenait sens la possibilité d’être bousculé sans y laisser une part de soi-même, mais au contraire de s’en retrouver « grandi ». Accepter de laisser venir et surtout donner du sens à ce qui se passe là — comme dans la classe.
Enfin, il faut signaler son compagnonnage, depuis leur création, avec les Calandretas, écoles bilingues de culture occitane, qui dans leur statut « tiennent compte de la pédagogie institutionnelle ». Sous l’impulsion entre autres de Patrice Baccou, Jaumeta Arribaud et Felip Hammel, et accompagné de Brigitte Vicario, René Laffitte avait initié une formation à la pédagogie institutionnelle destinée aux jeunes postulants des centres de formation des Calandretas. Ce fut l’une des dernières voies qu’il traça, riche de promesses hélas aujourd’hui ajournées ; il n’était pas le premier (cf. Francis Imbert, Jacques Pain), mais son dispositif était d’une parfaite homogénéité avec sa pratique des stages mais aussi de la classe, cette classe où « ce vrai gentil d’une exigence féroce », comme l’avait défini son amie, la regrettée Françoise Thébaudin, parlait aux enfants, et se comportait avec eux, exactement comme avec les praticiens adultes.
Toute sa vie, René Laffitte n’a jamais cessé de se dire le continuateur de l’œuvre de Fernand Oury, sans jamais avoir besoin de prétendre le « dépasser ». Toujours, il a jugé plus important de maintenir vives les arêtes de la théorie, de la pratique et de l’éthique de son ami, dont il aura été jusqu’au bout l’un des plus fidèles compagnons pédagogiques, durant les vingt dernières années de la vie du fondateur de la pédagogie institutionnelle. Mais son œuvre propre a surtout montré que l’on pouvait faire de la pédagogie institutionnelle sans être Fernand Oury, mais avec Fernand Oury, puis après lui. Il a toujours revendiqué ce qu’il avait appelé « un héritage d’instituteur », dans l’un de ses plus beaux textes (et l’un des moins consensuels…), « Les sarcasmes de Fernand Oury », prononcé en 2000 et repris depuis plusieurs fois, notamment dans les Essais de pédagogie institutionnelle.
Dans sa classe, dans les stages ou les ChamPIgnons, et enfin dans ses écrits, René Laffitte a surtout fait la preuve, sans jamais chercher à l’administrer, qu’il n’est pas de pédagogie institutionnelle sans singularité, ni surtout sans parole ni signature. C’est entre autres pourquoi il n’a jamais cédé sur l’importance de l’élaboration des monographies d’écoliers, ces textes libres du pédagogue envers lesquels il était aussi exigeant et respectueux que face à un texte libre d’enfant, car il voyait là la seule voie sérieuse pour une véritable parole institutrice.
Cela ne l’a pas empêché d’aller, dans son propre sillon, loin, et profond. Ses trois livres pédagogiques en ont récolté les fruits.
En 1985, après avoir repris une classe de perfectionnement (il était alors directeur de SES), il publie avec Genèse de la Coopérative Une Journée dans une classe coopérative. Le désir retrouvé, véritable monographie de la classe, émaillée de focalisations sur tel ou tel de ses sujets, de ses moments, telle ou telle de ses institutions, vision diachronique et synchronique de la vie du groupe-classe, des enfants et de l’adulte. Ce livre est devenu l’un des ouvrages d’entrée dans la pédagogie institutionnelle les plus lus.
En 1999, il publie avec AVPI le Mémento de pédagogie institutionnelle. Faire de la classe un milieu éducatif, nouvelle plongée dans l’ « atomium » de la classe, avec le souci du démarrage d’une classe coopérative dans tous ses aspects, du didactique au matériel, en passant par l’institutionnel, l’inconscient et les phénomènes de groupe. Ce livre, qui contient entre autres le dernier texte de Fernand Oury, est une des visions les plus complètes de ce que René Laffitte appelait, au sens complexe du terme, la « machine-classe ». Jacques Pain fut l’exigeant éditeur, ou rééditeur, aux éditions Matrice, de ces deux premiers ouvrages.
C’est grâce aux soins scrupuleux de Bernard Quérol que, en 2006, fut publié aux éditions du Champ social son dernier et plus important ouvrage : les Essais de pédagogie institutionnelle. La nécessaire clairvoyance des taupes, ou : l’école, un lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents. Dans ce livre est réaffirmé le constant éclairage complexe de la classe à travers le matérialisme scolaire, l’inconscient et les phénomènes de groupe ; néanmoins, à travers sa singularité, ce livre met à jour des champs non négligeables d’avancée théorique. Douze monographies, issues entre autres de stages AVPI, témoignent de ce que leur élaboration n’est pas qu’une question de raffinement technique ou abstrait, mais accompagne indissociablement la progression du praticien dans sa maîtrise pédagogique. Surtout, leurs commentaires, imposants mais qui n’ont rien de professoral, constituent plutôt des « monographies de monographies », un espace « de côté » où se questionne la sous- jacence et où l’exigence théorique, pratique et, indissociablement, éthique, est poussée dans des aires jusque là peu atteintes.
Pour le reste, il s’est toujours contenté d’être lui-même : pour ce « désespéré raisonnable » comme il se définissait, qu’habitaient en permanence et à égale dose « un optimisme vigilant et un pessimisme distrait », cela voulait surtout dire : « Essayer de ne pas mourir trop con », comme il ne cessa jamais de le bougonner. Gageons qu’il y sera arrivé comme peu.
Enfin, il est une dernière facette de René Laffitte que l’on perdrait à ne pas connaître. Le praticien et l’auteur pédagogique, qui changea l’école avant tout parce qu’au fond il ne l’avait jamais aimée telle qu’elle est, n’aurait pas existé avec la finesse de son écoute et la pertinence de sa parole, s’il n’y avait eu, en fonds, le « graphomane », comme il se désignait avec humour. Les mots, ce furent aussi ceux qu’il écrivit toute sa vie durant, dans la solitude de son bureau, et qui donnèrent lieu à deux ouvrages littéraires. En 2001, il recueillit ses Contes distraits et nouvelles de l’après-histoire, et en cette dernière année de son existence, il consacra ses forces à mettre un point final aux Vivances, manuscrit issu de son Journal déraisonnable qu’il tenait depuis 2002. Preuve de plus qu’il « continuait à croire que quelque chose d’autre est possible que ce qui est ».
Association du Champ P.I3.
Pédagogie institutionnelle
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Bibliographie
Pédagogie
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Une journée dans une classe coopérative. Le désir retrouvé, Postface de François Tosquelles, , Paris, Syros, 1985 ; rééd. Vigneux, Matrice, « Classiques de la pédagogie institutionnelle », 1997.
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Mémento de pédagogie institutionnelle. Faire de la classe un milieu éducatif, Préface de Jean Oury, Vigneux, Matrice, « Classiques de la pédagogie institutionnelle », 1999.
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Essais de pédagogie institutionnelle. La nécessaire clairvoyance des taupes, ou l’école, un lieu de recours possible pour l’enfant et ses parents, Nîmes, Champ Social, « Psychothérapie institutionnelle », 2006.
Littérature
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Contes distraits et Nouvelles de l’Après-histoire, Publibook, 2000.
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Vivances, 2009, à paraître.
1 Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active, mouvement d’éducation nouvelle issu du Front populaire (1937).
2 Institut coopératif de l’Ecole moderne.
3 6 rue Elisée Reclus 11000 Carcassonne – champ.pi@wanadoo.fr