« Au secours, je suis monolingue et francophone » Jean Petit
Vous trouverez ici les cours de Philippe Hammel dispensés dans le cadre du master EBI ISLRF / UPVD de 2009 à 2014.
Sur le chemin de l’immersion : des apprentissages à la citoyenneté
Jean-François ALBERT enseignant à la Calandreta de Ciutat à Carcassonne, paissèl ajudaire et vice-président de la Confédération des Calandretas.
…Aujourd’hui l’immersion linguistique, en tant que pratique pédagogique, est sous le coup d’une condamnation du Conseil d’Etat. Cette épreuve de plus nous ne l’avons pas choisie. Cette bataille politique et idéologique les enfants de nos écoles ne l’ont pas choisie non plus. Ils en sont éloignés bien heureusement. Nous sommes les premiers, les enseignants, à soutenir le mouvement associatif. à titre privé, chacun participe par ses actions et son militantisme à la défense de sa langue et de sa culture régionale. En plus de cet engagement personnel, nous devons apporter à l’ensemble de la société des réponses de professionnels.
Nous avons responsabilité d’enseignement, et nous devons tenir les engagements qui incombent à notre profession.
Tout d’abord, nous devons tenir les engagements qui nous lient avec l’Education Nationale. à savoir, le respect des IO, le passage des évaluations nationales CE2, les plans de formation des enseignants, à la fois en ce qui concerne la formation initiale mais aussi l’ensemble des modalités du concours PE et ses évaluations.
Nous devons tenir aussi ceux qui nous lient avec les familles qui ont choisi de scolariser leurs enfants dans nos écoles. La scolarisation des enfants dans nos structures reste à mes yeux un acte fort. Faire le choix d’une école immersive, en langue régionale, est un acte courageux. Aujourd’hui la grande majorité des enfants est scolarisée dans le système classique monolingue et francophone.
Ce choix du bilinguisme, les parents devront l’assumer et, malheureusement, trop souvent ils devront argumenter pour le justifier. La pression sociale sera souvent forte, les a priori nombreux, les remarques quelquefois blessantes. Nous avons ici les bases d’une intolérance crasse qui a toujours pignon sur rue dans bon nombre de milieux y compris les plus cultivés.
Les parents attendent de nous que nous réussissions le bilinguisme, que nous respections les instructions officielles de l’Education Nationale en nous appuyant sur des méthodes pédagogiques qui font de l’enfant l’acteur de ses apprentissages.
Ils attendent aussi de nous des arguments pour vivre mieux leur choix. Ce colloque doit permettre à tous ces parents de se rassurer sur leur choix, d’en tirer de la fierté et de se sentir respectés.
Nous savons tous que nous n’avons pas choisi la facilité, nous savons aussi combien notre projet est ambitieux et moderne et qu’il est, au delà d’un projet linguistique, un véritable projet de société.
Les organisateurs de ce colloque ont tenu à rassembler des praticiens et des scientifiques. Je voudrais profiter de ce moment pour redire combien nous sommes attachés à ce dispositif. Nous ne recherchons pas la reconnaissance des uns par les autres, pas plus la validation de nos pratiques respectives. Nous sommes partenaires. Les recommandations de la communauté scientifique en ce qui concerne des points très précis nous sont utiles pour améliorer nos pratiques de classe. Et nos pratiques de classe sont de formidables terrains d’investigation pour les scientifiques.
Il était important pour tous les participants que les enfants soient présents dans ce colloque. Ils représentent l’avenir et ils symbolisent le dynamisme de notre mouvement. Ils occupent la place la plus importante du dispositif. Ce sont des adultes qui choisissent le bilinguisme mais ce sont des enfants qui le vivent !
Pour réussir une situation de bilinguisme précoce la place de langue se doit d’être très importante. La qualité de la langue employée est un premier élément de réussite mais il faut y joindre la quantité. C’est à dire qu’il faut une durée d’exposition à la langue très importante.
Pour illustrer mon propos j’ai choisi de vous raconter l’histoire de trois enfants scolarisés à la Calandreta de Carcassonne.
La première est rentrée en septembre de cette année dans la classe de petite section. Elle a deux ans et demi. C’est une fillette dynamique qui possède déjà un langage bien affirmé et une vitalité à toute épreuve. Elle s’appelle Lucie. Ses parents, comme la majorité, sont non occitanophones.
Leurs inquiétudes légitimes étaient d’un grand classicisme :
Est-ce qu’elle ne sera pas perturbée par cette langue nouvelle ? Nous ne parlons pas occitan, est-ce que c’est gênant ? Est-ce qu’elle ne va pas mélanger les deux langues ? Et pour la lecture, comment ferons-nous pour l’aider ? Est-ce qu’elle aura le même niveau que les autres enfants si elle doit changer d’école ?
J’ouvre ici une parenthèse. Nous avons pu entendre ici ou là, que la scolarisation des enfants dès l’âge de deux ans était remise en cause par le ministre lui-même.
Dans les écoles Calandretas nous faisons le choix délibéré de scolariser les enfants dès l’âge de deux ans. Nous le faisons sans complexe dans la mesure où nous savons l’importance de confronter l’enfant le plus tôt possible à cette situation de bilinguisme précoce. Nous connaissons aussi les répercussions positives qu’entraîne cette confrontation en ce qui concerne le développement de ses facultés cognitives. Pédagogiquement, nous vérifions tous les jours combien le travail réalisé dans les classes maternelles est important et qu’il est stupide de cantonner ces classes dans le rôle réducteur de simples lieux de garderie. De plus, l’investissement des collègues, leur capacité à créer et à imaginer des situations originales, les efforts réalisés pour proposer des moyens d’évaluation, méritent plus que le respect.
Ces choses étant dites, revenons à Lucie.
Son quotidien est bien différent des questions que se posent ses parents. Quand elle rentre dans sa classe elle est dans un univers qui est le sien. Elle connaît ici toutes les personnes, les lieux, les codes et les règles de vie collectives.
La langue occitane ?
Elle la découvre sans appréhension aucune. Forcément, elle ne l’a jamais entendue ! Elle est incapable de la nommer et ce n’est pas son souci. Ce qui compte pour Lucie, c’est de l’associer à des actions, à des lieux, à des comportements… elle a un sens !
Rapidement elle utilise des mots en dehors de la classe, puis à la maison. Elle observe l’attitude des adultes quand elle utilise ces mots, elle comprend déjà que cela la valorise et qu’elle fait plaisir à ses interlocuteurs. Elle prend elle aussi du plaisir à le faire. En quelques semaines elle a développé une compétence extraordinaire. Elle peut associer deux mots dans deux langues différentes avec le même objet, la même action, le même comportement… rappelons qu’il faut quelquefois des mois à un adulte qui veut apprendre une autre langue pour arriver à la même compétence !
En quelques mois Lucie est à 100 % de compréhension en langue occitane. Elle est à l’aise dans toutes les situations. Elle évolue le plus naturellement du monde dans son école, la langue n’a pas généré de l’angoisse bien au contraire.
Mon deuxième exemple est un petit garçon scolarisé dans la classe de CP-CE1. Il s’appelle Théo. Il est dans la classe de l’apprentissage de la lecture. De la lecture en occitan !
Il est important d’insister sur ce point. Vous avez compris qu’il faut une présence très importante de la langue pour réussir un bilinguisme précoce. A cette présence il faut ajouter une valorisation importante. Valoriser la langue c’est l’utiliser souvent, l’utiliser en dehors des murs de l’école au cours des sorties, c’est enfin l’utiliser pour faire des choses importantes.
Quoi de plus important à l’école que la lecture ?
C’est l’apprentissage qui mobilise toutes les connaissances, toutes les inquiétudes, tous les excès aussi !
Théo est scolarisé depuis la petite section, il est aujourd’hui capable de parler très correctement en occitan, il est à 100 % de compréhension. Il sait que l’occitan va porter tous les apprentissages, il n’est pas surpris d’aborder l’apprentissage de la lecture en occitan. Le travail réalisé par le passé lui a permis de disposer d’un capital de mots important. Il a fait aussi, avec ses camarades, une évaluation juste du défi qui se présente à lui. Ce sera quelques fois difficile, mais il n’y a pas de raisons apparentes de ne pas y arriver !
Depuis la rentrée, il a progressé, il a souffert, il a connu des réussites et des échecs. Il se plait à dire à ses parents qu’il peut se tromper, qu’il apprend !
Déjà il met en place des mécanismes de comparaisons entre l’occitan et le français. Il utilise ses premières compétences en lecture pour faire des comparaisons, des essais et des vérifications. Il touche du doigt ses compétences nouvelles, les perspectives qu’elles vont ouvrir… il est acteur de son apprentissage.
Aujourd’hui il peut lire des textes courts en occitan. Il est reconnu en tant que tel par l’ensemble des individus de la classe. C’est sa fierté !
Le troisième exemple est une fille du CM2 qui quittera cette année notre école pour rejoindre un collège traditionnel. Elle a une couleur de comportement importante. Elle a la reconnaissance du groupe classe mais aussi de l’ensemble des adultes de l’école. Elle s’appelle Emilie.
Elle est un exemple de réussite. Elle est parfaitement bilingue à l’oral et à l’écrit. elle peut corriger certaines de ses paroles, ou celles des autres, pour en améliorer la qualité.
Au delà de ces compétences réelles en langue occitane, elle possède incontestablement un esprit d’ouverture vers les autres langues.
Le projet « familhas de lengas » lui a permis de découvrir d’autres langues qui quelquefois étaient très éloignées de l’occitan ou du français. A chaque fois elle a su en remarquer les aspects étranges tout en refusant l’idée qu’elles pouvaient être étrangères !
Découvrir des langues c’est aussi découvrir des cultures, des pays, des paysages, des visages et des hommes. C’est se montrer curieux, c’est rire d’une manière de prononcer les mots ou d’écrire des lettres tout en ayant énormément de respect pour cette langue inconnue et pour les personnes qui l’emploient.
Au cours de cette dernière année, Emilie a fait la preuve de cette perception des langues et des cultures du monde. Elle sait qu’au-delà de la traditionnelle question de l’utilité d’une langue, celle-ci donne du sens à la vie d’un groupe d’homme. C’est son mérite le plus louable.
A travers ces trois exemples, je retiendrai en conclusion des éléments importants qui parti-cipent à la réussite du bilinguisme précoce et à l’épanouissement des enfants qui évoluent dans nos écoles.
En premier lieu, chaque classe doit être un milieu sécurisant, riche, diversifié avec des exigences de qualité.
Ce milieu doit être capable d’accepter les enfants dans leur infinie diversité.
Il doit aussi accepter les tâtonnements, les erreurs, les vérifications… pour en faire le moteur des apprentissages.
Il doit prendre en compte la durée nécessaire à l’acquisition de certains apprentissages comme un élément déterminant et garant de la réussite scolaire des enfants.
La notion de confiance est un autre élément déterminant.
La confiance doit remplacer la peur.
Confiance envers enseignants qui, libres dans leurs pratiques, ne seront que plus motivés et plus performants.
Confiance faite aux parents pour participer à un accompagnement raisonné de leurs enfants dans les apprentissages. Confiance accordée aux enfants pour leurs capacités à se mobiliser et franchir les épreuves.
Enfin, celui qui souhaite plus de reconnaissance pour une langue et une culture régionale aurait bien du mal à condamner les autres langues et cultures du monde. Les enfants qui sont aujourd’hui dans nos écoles sont sensibilisés à cette réalité. A n’en pas douter, ils seront plus à même, forts d’un esprit juste, de défendre dans l’avenir un idéal de tolérance qui ne laissera pas de place au doute et qui imposera le choix de la raison, le choix de la paix.
Conférence prononcée lors du colloque « L’enfant en immersion précoce », organisé par l’Institut Supérieur des langues de la République Française, les 14 et 15 mars 2003, à Perpignan.