Quatrième Journée d’études commune, dans le cadre du travail coopératif Aprene – Experice – Cirdòc
Nous invitons praticiennes – praticiens pour une matinée d’échanges « praxiques » dans différents lieux,
et à distance
le mercredi 16 octobre 2024 -9H30-12H30
Lien pour participer en visio : https://adistancia.aprene.org/experice-aprene_2024-10-16
Langues parlées : le français en gros comme langue carrefour, mais certaines utiliseront l’anglais (une collègue bulgare), l’espagnol, etc. Et l’Occitan pourra être la langue d’accueil, comme toujours.
Trois types d’interventions :
– perspectives générales en termes de liens entre les outils Calandretas et la « fonction d’accueil » citoyenne P.J. Laffitte, P. Baccou
– témoignages des pédagogues de Calandretas, d’ Aprene, de Paris, de Grèce et du Québec : la façon dont se fait l’accueil d’enfants dans et par le plurilinguisme
– présentation de l’expérience et du regard concernant les migrants, réfugiés ou expatriés des autres participants.
Argument
En quoi la pédagogie peut s’avérer utile à la mise en place d’un accueil digne de ce nom envers des populations en exil, sur les plans politique, éducatif et intime ?
Les écoles Calandretas pratiquent deux pédagogies : le bilinguisme immersif et la pédagogie coopérative de Célestin Freinet (et plus particulièrement la pédagogie institutionnelle). Chacune de ces pédagogies, mais surtout leur articulation, peut fournir un ensemble d’outils didactiques et pédagogiques fertiles. Plus qu’une simple didactique, il s’agit d’une pédagogie linguistique qui est mise en place. C’est l’ensemble de ces outils que nous souhaitons présenter et partager.
Dans ce qui suit, il y a seulement une rapide cartographie de certains outils, institutions ou dispositifs. Ce court résumé est bien entendu non exhaustif et pourra être augmenté et précisé lors des témoignages de praticiens présents.
Il y a tout d’abord les outils les plus quotidiens, issus des méthodes naturelles d’apprentissage, volet didactique de la pédagogie coopérative de Célestin Freinet, et qui ont rencontré les enjeux propres au bilinguisme immersif.
Ces outils sont les lieux de parole, où s’accueillent régulièrement la parole et l’écriture de chacune : le Quoi de neuf, le bilan-météo, le texte libre et le dessin libre. À partir de là, il y a la socialisation de cette parole et de cette écriture, qui passe par les différentes possibilités de production et d’échanges d’écrits (et autres langages) : journal, album-enquête, correspondance scolaire, etc.
Il y a par ailleurs les moments où se partage l’expérience ordinaire de la variété des langues : « présentation de langue », « Bonjour » du matin, présentation de lecture , table d’exposition…
Enfin, ce sont les lieux qui accueillent, inscrivent et font vivre les langues et les cultures. Un enfant peut voir la classe qui l’accueille être marquée, occupée, par des « signifiants » de son pays (un petit objet, une trace de sa langue, un instrument de sa culture, de son passé, etc.). Ces « signifiants » peuvent être l’occasion de travaux collectifs (exposés, albums-enquêtes, page dans le journal, etc.). Les murs peuvent accueillir des images, des mots ; l’accueil peut se faire avec des parents qu’on invite, des objets qu’on expose, des moments qu’on partage (chant, musique, cuisine, etc.).
L’ouverture de la classe sur le monde peut se vivre sur le mode de l’accueil du dehors par l’intérieur du groupe et de son milieu. Mais ce peut être l’inverse, ou en tout cas une réciprocité qui fait réseau : c’est le sens, profond, de la correspondance scolaire : ne pas être seules, savoir que d’autres, ailleurs, existent, et savent que nous existons.
Viennent ensuite les outils d’observation, d’analyse et de comparaison des langues.
On peut rappeler ici les outils qui permettent d’entrer dans la connaissance d’une langue, et entre autres, essentiellement à partir des productions de textes. L’organisation se fait en recourant à la distinction entre travail collectif et travail individuel, ce qui requiert la distinction possible des niveaux hétérogènes. L’approfondissement et la progression de ce travail se fait à l’aide d’autres outils (ceintures de niveau, bibliothèque et fichiers, et les métiers attenants).
Quant à la dimension de comparaison des langues, elle se fait dans un cadre précis, qui utilise des outils comparatifs issus du bilinguisme immersif, et d’autres mis en place, ou adaptés, par la communauté enseignante Calandretas. On peut citer par exemple l’outil des palancas. L’horizon du bilinguisme occitan/français est la mise en place d’une étude comparée de ces deux langues romanes.
Cet ensemble d’outils « ordinaires » issus de la pédagogie Freinet entrent dans une conception plus large d’un programme d’ensemble : une véritable pédagogie linguistique, celle que porte par exemple le programme « Familhas de lengas », qui réintègre l’ensemble des différents outils didactiques. Une autre étape, vers le multilinguisme, est progressivement construite par le programme « Musica de lengas ».
Dans ce cadre, les écoles Calandretas ne sont pas que des « écoles linguistiques » : à travers les langues, ce sont les cultures, c’est-à-dire la vie, et les êtres vivants, personnes, groupes, sociétés (même celles qu’on a laissées derrière soi, et qu’on transporte pourtant en soi où qu’on aille) qui sont au cœur du souci humain et éducatif. D’où des projets sur le registre des cultures ouvert sur l’appropriation des multiples cultures de chacun.
Ainsi une « boîte à outils » avec des dispositifs locaux et des choix adaptés, peut être mise en place dans des situations de grande précarité, et donc embrayant rapidement sur l’instauration d’une ambiance éthique (un Quoi de neuf, une façon de « dire bonjour », c’est souvent plus fondamental que tout), et sur la possibilité de produire une œuvre qui fasse sens, et ait de la valeur, aux yeux des sujets : surtout quand ces sujets peuvent partir du jour au lendemain. Il est important, dans l’idée d’une transmission de ces outils et de leur singularité, d’apprécier la profondeur de leur philosophie et de leur éthique ; la simplicité de leur dispositif matériel, mais aussi la complexité de leur mise en œuvre et de leur appropriation ; la nécessité de tâtonner sur le terrain, et de ne pas être seules pour analyser ce qui a marché, et surtout ce qui n’a pas marché. Bref, mettre en place, non seulement « des classes » (ou tout ce qui en tient lieu), mais tout l’écosystème praticien qui rend possible les classes — une véritable praxis de transmission entre praticiennes, entre bricoleuses, de nos boîtes à outils pédagogiques.
La fonction d’accueil, c’est ce qui structure et oriente la pédagogie, entendue comme une écologie de la classe (ou de tout ce qui en tient lieu) : la dimension didactique est un ensemble de dispositifs, outils et objectifs particuliers, plus locaux et plus limités, qui est intégrée au travail pédagogique du milieu. Le sens de la pédagogie consiste à toujours remettre en question, analyser et relancer ensemble notre vie et notre travail, de façon à ce que ce milieu devienne un monde plutôt qu’une situation de pure reproduction sociale, une forêt ou une prairie plutôt qu’une pépinière ou un champ agro-intensif, la dynamique d’une création vivante et complexe, collective et personnelle, subjective et coopérative, plutôt que la gestion d’un rendement massif plus ou moins adapté.
– Pierre Johan Laffitte –